Un tissu en coton pour filtrer et capturer du CO2 ? Ça fonctionne

Un textile à base d'enzyme qui filtre le CO2 pour le valoriser, dans une expérience scientifique en 2022

Deux chercheurs ont mis au point un procédé naturel, basé sur du textile en coton, pour capturer du CO2 en très grande quantité.

« L’innovation se produit lorsque deux disciplines scientifiques qui ne se croisent normalement pas se rencontrent. Si vous avez un pied dans ces deux mondes, vous remarquerez quelque chose d’évident – qui ne viendra pas facilement aux autres »

Sonja Salmon, professeur associé d’ingénierie textile, de chimie et de sciences à NC State.

Dans cette citation, Mme Salmon fait référence à son expertise dans l’ingénierie textile, et en biochimie. Récemment, Mme Salmon et Jialong Shen, chercheur à la North Carolina State University, ont créé un filtre à base de textile capable de capturer des émissions de CO2 (dioxyde de carbone).

Un filtre écologique en coton

Les chercheurs ont sélectionné un morceau de tissu, en coton, connu pour ses propriétés polyvalentes, et l’ont associé à une enzyme naturelle, appelée anhydrase carbonique pour créer ce textile.

L’anhydrase carbonique est une enzyme présente à la surface plasmique intracellulaire (liée à l’échangeur anionique AE1 Cl/HCO3) des globules rouges (ou hématies ou encore érythrocytes) qui transforme le CO2 en H2CO3 et inversement. La plupart des anhydrases carboniques contiennent un atome de zinc. C’est une des enzymes les plus rapides connues.

Wikipédia

Pour faire simple, sa propriété spécifique consiste à éliminer les molécules de dioxyde de carbone d’un mélange gazeux.

Les conclusions des deux chercheurs ont été publiées dans la revue ACS Sustainable Chemical Engineering, au début du mois de juin 2022 : La publication.

Toutes les études permettent de dire que les niveaux de dioxyde de carbone sont aujourd’hui parmi les plus élevés jamais observés au cours des 800 000 dernières années.

D’après la National Oceanic and Atmospheric Administration, dans cette publication, les combustibles fossiles utiliser pour l’énergie sont les principaux responsables des fortes concentrations actuelles de CO2 dans l’atmosphère.

« Je travaille dans ce domaine depuis 2005. À l’époque, les émissions mondiales de CO2 n’étaient que de 24 milliards de tonnes par an. Aujourd’hui, elles sont supérieures à 35 milliards de tonnes par an.

Les êtres humains ont besoin d’énergie, et nous rejetons le sous-produit de ce besoin d’énergie – le dioxyde de carbone – dans l’air, sans le collecter. Nous ne pouvons pas le voir ni le sentir. Il est très peu visible pour nous, mais il cause un très gros problème à notre planète, et nous devons faire quelque chose pour y remédier. »

Sonja Salmon

Sonja Salmon développe, à propos de son idée d’utiliser un textile :

« Une chose que nous savons déjà sur le coton est qu’il absorbe et transporte bien l’eau et l’humidité. »

Le coton peut de plus être utilisé pour étaler l’eau en une fine pellicule couvrante, créant ainsi une surface de contact très élevée avec les gaz.

« Lorsque les molécules de dioxyde de carbone doivent être extraites de mélanges gazeux, la molécule doit entrer en contact avec quelque chose, d’où la nécessité d’une grande surface de contact », explique Mme Salmon.

Les chercheurs ont choisi de modeler leur technologie d’après une réaction qui se produit à l’intérieur du corps.

L’anhydrase carbonique est une enzyme présente en abondance dans tous les tissus des mammifères, ainsi que dans les plantes, les algues et les bactéries. L’anhydrase carbonique contribue à la conversion du CO2 et de l’eau en bicarbonate (HCO3-) et en protons (H+) (et inversement). Ce processus est essentiel à la vie et joue un rôle central dans la respiration, la digestion et la régulation du pH cellulaire.

Selon les deux chercheurs :

« Nos filtres textiles, avec cette enzyme ajoutée, fonctionnent comme un mélange entre un filtre à air et un filtre à eau, qui effectuent une réaction chimique en même temps ».

Avant de développer que leur recherche s’appuie sur un procédé déjà bien connu de l’industrie.

« Il existe des systèmes « conventionnels » de capture du carbone, qui fonctionnent déjà aujourd’hui, et qui sont utilisés dans l’industrie pétrolière et gazière. Afin de purifier le méthane, le gaz naturel principalement.

Lorsque le gaz naturel est extrait du sol, il est souvent mélangé à du CO2. La technologie permettant de séparer le dioxyde de carbone des gaz existe donc déjà depuis des décennies »

Toutefois, la plupart de ces systèmes précédents rejettent le CO2 dans l’atmosphère.

Tandis que l’idée derrière l’utilisation de ces filtres textiles est de piéger le gaz, de le capturer, et il pourrait ensuite être enfoui sous terre ou valorisé.

« Notre technologie utilise des textiles et des enzymes pour capturer les molécules de CO2 de manière très efficace. »

Capturer le dioxyde de carbone, mais à des fins utiles

Pour créer ce système de filtre, l’enzyme a été fixée sur un morceau de tissu en coton, à deux couches, en « plongeant » le tissu dans une solution contenant du chitosan, qui agit ici comme une colle. Le matériau piège alors l’enzyme, qui se colle donc au tissu.

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Le schéma explicatif

Une série d’expériences a ensuite été menée pour voir avec quelle efficacité le filtre séparait le dioxyde de carbone d’un mélange de CO2 et d’azote, simulant des niveaux équivalents à ceux émis par les centrales électriques.

Le tissu a été enroulé, et introduit dans un tube. Les chercheurs ont fait passer le gaz dans ce tube, ainsi qu’une solution à base d’eau. Lorsque le CO2 a réagi avec l’eau et l’enzyme de la solution, il s’est transformé en bicarbonate et s’est égoutté sur le filtre, et dans le tube.

Ensuite, ils ont capturé la solution de bicarbonate, et l’ont extraite. Elle pouvait alors être utilisée pour recréer de l’énergie, ou réagir avec le calcium, pour former du calcaire.

Plus en détail, lorsque les deux chercheurs ont fait passer de l’air à travers leurs filtres, à raison de quatre litres par minute, ils ont pu extraire :

  • 52,3 % du dioxyde de carbone avec un filtre à une seule couche
  • 81,7 % avec un filtre à deux couches

Passer des essais en laboratoire à une pplication large

Si ces premiers résultats peuvent légitimement être enthousiasmants, ces filtres doivent encore être testés en utilisant des débits d’air plus rapides, que l’on trouve dans les centrales électriques par exemple.

Un système de filtration à grande échelle devrait traiter plus de 10 millions de litres de gaz de combustion par minute.

« Pour s’attaquer à cet énorme problème [les émissions de carbone], nous étions certains que la technologie [celle sur laquelle ils travaillent] devrait être mise à l’échelle très rapidement. »

Jialong Shen

Alors que plusieurs technologies, déjà testées ou existantes, de capture du carbone, reposent sur des matériaux complexes, Salmon et Shen ont choisi le coton, qui est très facilement disponible, et peut « survivre » à des cycles répétés de lavage, de séchage et de stockage.

« Notre technologie peut être facilement mise à l’échelle en utilisant l’infrastructure existante de fabrication de textiles. »

Jialong Shen

Ce tissu modifié pourra-t-il alors être porté un jour ? Une simple chemise pourrait-elle aider à lutter contre le changement climatique ?

Pour la professeure Sonja Salmon :

« Notre technologie permet de capturer les molécules de gaz qui doivent être stockées quelque part. Notre système est donc destiné à quelque chose de stationnaire.

Malheureusement, ce n’est pas quelque chose que vous pourriez coller à l’arrière de votre voiture ou porter sur vous dès maintenant. Mais là encore, avec l’innovation, il y aura de nouvelles façons d’envisager son utilisation. »

Prochaines étapes

Le projet a été financé par le ministère américain de l’énergie. Les deux chercheurs ont aussi bénéficié du soutien de Novozymes, qui a fourni des enzymes pour ces travaux.

« Avec nos collaborateurs, nous avons procédé à une mise à l’échelle, et nous espérons que ces travaux feront l’objet d’une publication (scientifique NDLR) dans le courant de l’année.

Franchement, nous pensons que la technologie fonctionne déjà suffisamment bien pour envisager de la déployer à plus grande échelle. Mais cela implique d’avoir des partenariats avec des opportunités commerciales. Nous commençons à en parler avec des gens et nous avons hâte de progresser. »

Au cours des dernières années, de très très nombreux concepts de solution et de lutte contre le changement climatique ont été élaborés et testées. Toutefois, nombre d’entre eux ne dépassent pas le stade de lu POC de laboratoire.

Selon M. Salmon, le coût énergétique pénalisant y serait directement pour quelque chose.

« Tout système de capture du carbone nécessite de l’énergie. En effet, il faut se battre pour extraire des molécules de gaz de l’air et les concentrer, ce qui va à l’encontre des lois naturelles de la thermodynamique. Il faut donc payer une pénalité énergétique pour cela. En d’autres termes, il faut dépenser de l’énergie pour alimenter la technologie de capture et de stockage du carbone. »

Jusqu’à présent, l’ampleur de cette « pénalité énergétique » a été un facteur très limitant.

« Il y a aussi l’impression que nous avons jeté du CO2 gratuitement et que nous devons maintenant payer pour cela – c’est un obstacle. Mais les gens doivent comprendre que si nous ne payons pas, notre planète est en danger. »

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